Questions électriques
Branché. Quand j’entends ce mot, j’ai l’impression d’avoir les doigts dans la prise électrique. Branché, branchitude. Il faut dire que le ton généralement utilisé, ou même le rythme de la phrase à l’écrit, pèse son poids de dédain. Un dédain qui signifie bien à quel point l’événement ou la personne en question peut se résumer à du vide. Ce même vide dont on accuse tout ce qui ne vit que par la télévision. Ou par les magazines people. Si bien qu’il n’y a guère que des pauvres d’esprits pour s’affubler eux-mêmes de ce terme de branché qui vous habille de clinquant comme un nouveau riche.
Peut-être bien que ce mot branché suggère à ceux qui l’utilisent l’image d’un de ces anciens petits singes en peluche ou ces petits lapins roses qui tournaient en rond en frappant leurs cymbales ou leur tambour.
S’il s’agissait en effet d’être branché sur autre chose que de l’énergie, personne n’aurait cette impression de vide, non? Branché sur l’air du temps? Est-il si irrespirable? Sur les médias? Sont-ils si vains, si creux? Bien sûr, dans cette chronique, il a dû m’arriver de pleurer sur mon propre monde journalistique qui se lit, se nourrit, se copie trop parmi. Mais dans ses pages, ses émissions, il y a bien encore des vies, des paysages, non? Des idées aussi?
Mais laissons la presse. En fait, ce qui est accusé souvent d’être branché, sans qu’on ajoute sur quoi, comme « branché hip-hop », ou « branché fringues », ce qui changerait tout, c’est l’art. Celui qu’on dit méchamment comptant pour rien. Rien n’est plus horrible que d’être un artiste branché. Autant qu’on vous promette une mort soudaine. Enfin, quand je dis que rien n’est plus horrible. Si. Il y a pire: un public branché. Contempler le vide, vous imaginez… Ce pourrait être vertigineux, mais ce public-là serait si inconscient que ce genre de sentiment ne le toucherait pas. Il ne verrait que les lumières qui cachent le vide…
Alors, cet art, ce public, n’ont-ils vraiment plus rien sur quoi porter leur regard? Plus de regard même? A moins que ce dont ils soient accusés, c’est de parvenir à faire parler d’eux sans qu’on sache ce dont eux-mêmes parlent. Et c’est là peut-être que tout le monde tourne le plus en rond, et les critiques de la branchitude sont aussi embarqués sur ce manège-là.
Oui, rien de plus creux que ce mot de branché, qui ne peut signifier que l’incapacité de celui qui le prononce à s’exprimer sur le fond des choses. Soit qu’il n’y en ait vraiment pas; le monde de l’art n’est en effet pas à l’abri des épiphénomènes, tant s’en faut. Soit qu’on se mette des oeillères, qu’on s’abrite derrière une épaisse grille de préjugés balourds pour balancer des qualificatifs mille fois plus vides de sens que ce qu’on dédaigne.
Bref, qu’on soit artiste ou qu’on leur jette des mauvais sorts, le mieux serait d’apprécier à sa juste valeur l’espace qui nous est donné pour s’exprimer. De ne pas l’occuper par trop d’écume. Ou d’avoir la générosité de l’offrir à d’autres. La générosité, c’est branché?